Les êtres humains sont malades… La planète aussi!

Publié le par Al lark

La dimension mondiale, pandémique, de l’épidémie de Covid-19 interroge. Un pangolin ou une civette mangée en Chine a tué des centaines de milliers de personnes et mis à terre toutes les économies de la planète. Comment ne pas s’interroger sur les rapports entre notre mode de vie, notre rapport à la nature, et la multiplication des pandémies ?

 

 

Quelques semaines après le début du confinement généralisé, plusieurs centaines de scientifiques, membres d’ONG et personnalités - tels Carlos Manuel Rodriguez, le ministre de l’environnement du Costa Rica et Vandana Shiva, scientifique et militante écologiste indienne - ont publié une lettre ouverte appelant à une réponse commune et ambitieuse face à “l’urgence planétaire”, d’autant plus alarmante en ces temps de crise sanitaire mondiale. 

 

L’économie mondiale est à l’arrêt et les ciels de Beijing et de Wuhan sont à nouveau visibles. A Al Lark, comme beaucoup d’environnementalistes dans le monde entier, nous sommes amenés à réfléchir à l’interconnection entre cette pandémie et la crise écologique actuelle. De nombreux scientifiques mettent en avant que l'émergence accrue de maladies infectieuses (grippe H1N1, Ebola, VIH, COVID-19) s’imbrique dans des déséquilibres climatiques majeurs liés aux modifications sociales et environnementales de ce dernier siècle et notamment à la surexploitation des ressources planétaires. Notre engagement à Al Lark auprès de la protection de la biodiversité n’a donc jamais été aussi vivant.  Avec cet article, nous espérons mettre en lumière ces ponts économiques, sanitaires et écologiques et s’interroger sur cette question: à l’aube de cette crise systémique, quels pans de l’économie choisissons-nous de restaurer et à quels éléments choisissons nous de renoncer? Il s’agit d’explorer le rôle de nos choix et nos modes de vie dans le développement accru des maladies infectieuses. 

                 

 

“Il n’y a pas d’homme en bonne santé sur une planète malade”, a justement souligné Isabelle Autissier (2020), présidente du WWF, Fonds mondial pour la nature. Selon elle, les atteintes à la biodiversité sont à l’origine de cette crise. 

 

  1. QU’EST CE QUE LE COVID-19 ET COMMENT EST-IL LIE A LA DESTRUCTION DE LA BIODIVERSITÉ?

 

         Tout d’abord, l’épidémie de COVID-19 n’est pas la première pandémie que connaît l’humanité. Avant elle, les grippes aviaires, le Sida, le SRAS ont frappé violemment la population mondiale.  Ces maladies sont ce que l’on appelle des “zoonoses”, c’est à dire des maladies qui se transmettent de l’animal à l’être humain. La chauve-souris par exemple, transmet une zoonose à l’être humain via des espèces relais qui vont, elles faire muter l’infection qui va s’adapter à nous (ex: chien, chat, vache, porc, ou aujourd’hui pangolin). 

 

De nombreux scientifiques, notamment Serge Morand, chercheur au CNRS, disent avertir l’opinion publique depuis de nombreuses années sur cette recrudescence de zoonoses, amenée par plusieurs facteurs. Depuis le début de nos civilisations, nous avons domestiqué de façon exponentielle les animaux et augmenté le contact avec des animaux sauvages dans des zones habituellement peu fréquentées par l’être humain. 

 

On a disloqué des habitats naturels et construit des villes, et pour nourrir ces villes nous avons domestiqué des animaux sauvages, nous avons créé des passerelles entre des virus et bactéries présents chez ces animaux et l’être humain.  La domestication bovine par exemple est responsable de nombreuses maladies : la variole, la rougeole, les oreillons. C’est donc le démantèlement d’espaces sauvages qui est l’origine d’agents infectueux.  La diversité des espèces joue un rôle essentiel de tampon pour les maladies et c’est pourquoi il est fondamental de la protéger.

 

La pratique massive de la déforestation a ensuite amplifié ce phénomène. Dans les zones tropicales, on a divisé quasiment par deux la superficie forestière par habitant en 25 ans pour la transformer en terre agricole (FAO, 2015). Or, en supprimant les forêts primaires on rapproche les êtres humains d’animaux qui en étaient jusque-là très éloignés et, en plus de détruire des écosystèmes prospères, on expose les êtres humains à des risques épidémiques considérables.  

En effet, la densité d’êtres vivants (humains et animaux) sur un même espace augmente, ce qui accroît le risque de transmission de pathogènes. Par ailleurs, les espèces qui survivent sont des espèces dites généralistes, extrêmement résilientes, les rats et les moustiques par exemple. Ces espèces sont plus enclines à être porteuses de pathogènes.  

 

On comprend donc bien que la propagation du virus est le résultat en cascade de changements anthropiques et démographiques profonds, notamment la destruction de la biodiversité via l’agriculture intensive, l’élevage et l’explosion de la mobilité humaine.  

 

“On a simplifié les paysages, multiplié les monocultures, et la Terre compte aujourd'hui 1,5 milliard de bovins, 25 milliards de poulets, des milliards de cochons. Ajoutez à cela un transport aérien qui a bondi de 1 200% entre 1960 et 2018, idem pour le fret maritime... Et vous obtenez cette « bombe » épidémique.”

 - Serge Morand, écologue et chercheur au CNRS, 2020.

 

 

 

         2. INVITER DE NOUVEAUX RÉCITS 

 

Ces constats nous invitent à repenser nos modes de vie, à tendre vers davantage de sobriété dans notre consommation et nos déplacements, et à privilégier les échanges locaux.  

« Si nous ne changeons pas nos modes de vie, nous subirons des monstres autrement plus violents que ce coronavirus » - Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Inrae, travaille sur les relations entre santé et environnement, 2020.

 

La fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme incarne notamment cette nécessité de se saisir de ce choc mondial comme catalyseur de nouvelles habitudes, oeuvrant pour la régénération de nos écosystèmes. Nicolas Hulot, ancien ministre de la transition écologique et solidaire, a en effet présenté - soutenu par une centaine de prix Nobel, scientifiques et personnalités engagées - une tribune de 100 propositions pour le monde d’après covid-19. On y retrouve notamment :   

“Le temps est venu d’appréhender l’ensemble des crises écologiques, climatiques, sociales, économiques et sanitaires comme une seule et même crise : une crise de l’excès.

Le temps est venu de respecter la diversité et l’intégrité du vivant.” - N. Hulot, 2020.

 

Par ailleurs, le rôle des sciences face à ces épidémies est fondamental pour allier biodiversité et santé publique. Jean Francois Guégan explique qu’il y a une hiérarchie entre les différentes disciplines dans la culture médicale en France. Celle-ci privilégie en effet une approche curative plutôt que préventive. Cela se traduit selon lui par une priorisation de la cardiologie et de la médecine nucléaire au détriment de la santé publique et de l’infectiologie. L’Etat financerait des vaccins et des technologies curatives et délaisserait en contrepartie les crédits attribués à la médecine tropicale.  Jean-François Guégan prône une approche transdisciplinaire de la science, où l’on comprendrait la complexité et l’interconnection entre économie, santé et environnement:

« Il est temps d’en finir avec cette distinction entre sciences majeures et mineures, pour reconstruire une pensée scientifique adaptée aux nouveaux enjeux » (2020)

 

L’association Al Lark trouve une résonance particulière à ces deux éléments : la sensibilisation à la protection de la biodiversité, et parallèlement la nécessité d’employer la science au service de cette dernière. Comme beaucoup d’associations naturalistes ont fait ces dernières semaines, on aimerait profiter de ce début de déconfinement pour rappeler la nécessité d’être d’autant plus attentif au bien-être des monde animal, végétal et minéral qui nous entourent. Après avoir donné un temps de répit aux milieux naturels ces derniers mois, il est primordial de réapprendre à « marcher sur Terre » avec légèreté, comme l’a souligné le président de la LPO (Ligue de la Protection des Oiseaux), Allain Bougrain Dubourg. Ainsi, la LPO a publié dans un communiqué de presse ce 8 mai 2020 quelques simples recommandations pour un déconfinement pédagogique évitant un choc lors de notre réoccupation des espaces naturels:   

“-Evitez au maximum de fréquenter les hauts de plage et les dunes de sable et soyez attentifs à la présence d’espèces que vous pourriez déranger. -Respectez les dispositifs de protection mis en place pour les protéger. 

-Restez sur les sentiers balisés en forêt, en montagne et sur le littoral, et tenez les chiens en laisse.

-Levez le pied au volant et demeurez vigilants quant à la présence d’animaux sur les routes.

-Laissez une partie de vos espaces verts s’ensauvager en retardant la tonte des pelouses et la taille des végétaux, en particulier les haies et les arbres qui abritent une grande biodiversité.

-En cas de découverte d’un animal sauvage blessé ou vulnérable, prenez conseil auprès de spécialistes afin de ne pas commettre d’erreur fatale en tentant d’intervenir.” 

 

Enfin, si protéger la faune et la flore marine et terrestre est une façon directe de protéger les écosystèmes, il existe une multitude d’actions, de nouvelles habitudes à créer, pas à pas, à notre échelle individuelle, qui contribuent à la pérennité de nos écosystèmes: consommer des fruits et légumes biologiques, de saison et si possible locaux,  imaginer une seconde vie pour ses déchets, privilégier les transports en commun ou le vélo, soutenir des associations qui ont des valeurs qui nous parlent, ou encore faire une balade dans la nature avec ses enfants! Cette crise systémique nous pousse dans nos retranchements et nous amène à élargir nos imaginaires pour un avenir sain pour notre planète et donc pour nous. 

 

 

- Emma Bussat, Volontaire en Service Civique à Al Lark

 

Ressources : 

- Open Letter to Global Leaders - A Healthy Planet for Healthy People, The Club of Rome (2020): https://bit.ly/36b6WSy 

- Evaluation des ressources forestières mondiales, FAO (2015) : https://bit.ly/2TiAIQ6

- « Face aux pandémies, les sciences de l’écologie sont plus que jamais nécessaires », CNRS Le Journal  (2020) : https://bit.ly/2LTvs1v

- Pour limiter les pandémies, les humains doivent « décoloniser le monde », Reporterre (2020) : https://bit.ly/3cLYNXm 

- Pourquoi nos modes de vie sont à l'origine des pandémies, Le Monde (2020) : https://bit.ly/2LJbpTf 

- « Il n’y a pas d’homme en bonne santé sur une planète malade »: le cri d’alarme du WWF sur le coronavirus, France Inter (2020) : https://bit.ly/2XaGLav 

- « Si nous ne changeons pas nos modes de vie, nous subirons des monstres autrement plus violents que ce coronavirus », Le Monde (2020) : https://bit.ly/3g3khRx 

- « La crise du coronavirus est une crise écologique», Libération (2020) : https://bit.ly/2Tk1G9U 

- Cyril Dion : « Ce qui nous arrive pourrait se produire avec la crise climatique et écologique », Le Monde (2020) : https://bit.ly/3cXcpiJ 

- Letempsestvenu.org, Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme : https://bit.ly/3g3nUXF 

- Les 100 principes de Nicolas Hulot pour « un nouveau monde », Le Monde (2020) : https://bit.ly/3bMI5pi 

- Retour dans la nature : la vie sauvage s'est épanouie, respectons-la, Reporterre (2020) : https://bit.ly/2WJDIXR

- Déconfinement : s’émerveiller tout en respectant la faune et la flore sauvages, LPO (2020) : https://bit.ly/2LHi5Bb

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