Le point sur… la mortalité par capture
La mortalité par capture des dauphins communs de la côte Atlantique est en nette augmentation.
Elle connaît en ce moment un pic très inquiétant.
Nous avons rédigé un dossier pour faire le point sur l'état des lieux et les réactions récentes du ministère de la Mer.
L’état des lieux
Depuis des années, les rapports alarmistes de multiples associations et organismes scientifiques se sont multipliés : le Réseau National Échouages et l’observatoire Pelagis, France Nature Environnement et bien d’autres (liens avec les organismes cités en fin du dossier).
Pelagis est l’observatoire, adossé au CNRS et à l’Université de La Rochelle, qui rassemble les programmes d’observation et d’expertise sur la conservation des populations de mammifères et oiseaux marins ainsi que la gestion des bases de données associées.
Le Réseau National Échouages est le principal outil de suivi des échouages de mammifères marins, directement connecté à Pelagis. Il est constitué de correspondants locaux (comme Al Lark) qui se tiennent prêts à intervenir lorsqu’un cas se présente. Ils sont plus de 400 (associations, organismes d’État, collectivités ou particuliers bénévoles), répartis sur toute la façade maritime française, formés pour l’observation et l’intervention (autopsie) et habilités par Pelagis («carte verte»).
Pelagis, à travers les données du Réseau National Échouages, a ainsi recensé près de 1000 échouages de dauphins communs (993 exactement) sur la côte Atlantique française, du 1er janvier au 18 mars 2020. Et 88,1 % de ces individus présentaient des traces de capture accidentelle par les engins de pêche utilisés dans le golfe de Gascogne (filets, chaluts).
Depuis 1988 (année où l’analyse scientifique des échouages est devenue obligatoire), le nombre d’échouages est en nette augmentation, notamment chaque année de décembre à mars.
Morgane, de l’association Al Lark, a assisté de près, début février, à cette hécatombe : «J’étais au côté de l'Observatoire Pelagis en tant que correspondante du Réseau National Échouages cette semaine. Rien que sur la journée de mardi, à quatre, nous avons dû traiter 46 échouages de dauphins communs sur une zone de moins de 50 km de côte vendéenne. Lors du seul week-end dernier, se sont pas moins de 74 échouages qui ont eu lieu, après 80 la semaine précédente. Encore une fois, la quasi totalité de ces cadavres de dauphins communs investigés montraient des traces de mort par capture dans les filets de pêche.»
On a observé également un nombre inhabituellement important de signalements depuis fin janvier dans le Morbihan, comme l’a décrit Marie Merdrignac dans l’édition du 3 février d’Ouest-France où elle a interviewé Cécile Dars, biologiste marine, membre de l’équipe chargée des échouages à Pelagis : «Chaque année, il y a un pic d’échouage sur la côte Atlantique, mais c’est davantage en février et mars. En janvier 2020, on avait observé un pic, mais dans les Landes. Cette année, c’est davantage en Sud Bretagne et en Vendée.» Elle explique l’arrivée de ces dépouilles sur nos plages par «un gros événement de captures accidentelles au large» . Les cétacés découverts portaient pour certains des stigmates reconnaissables. «Quand les dauphins sont pris dans les filets, comme c’est compliqué de les en démêler, les pêcheurs sectionnent les appendices – nageoires, nageoire caudale, etc. – quand l’animal est mort.» Ces dernières années, les scientifiques ont remarqué «un changement de distribution chez les dauphins communs». En quête de nourriture, «ils se sont rapprochés des côtes pour s’alimenter». C’est pourquoi les pêcheurs disent en voir de plus en plus. «Dauphins et pêcheurs se retrouvent sur le même terrain de pêche. Car les cétacés se nourrissent des petits poissons qui sont la nourriture des plus gros poissons que pêchent les fileyeurs», indique encore Cécile Dars. Les captures accidentelles sont donc plus nombreuses. «Il faut s’imaginer la mer comme un labyrinthe fait de kilomètres et de kilomètres de filets tendus sous l’eau. C’est compliqué pour les dauphins de ne pas s’y faire prendre», image la biologiste. Elle précise que l’observatoire «n’arrive pas à savoir quel type de pêche (bars, merlus, etc.)», est la plus meurtrière pour les dauphins, ni «quel type d’engins de pêche en capturent le plus». Le phénomène inquiète les spécialistes qui le signalent depuis plusieurs années. «À ce rythme-là, la population ne va pas pouvoir se renouveler et on craint un effondrement de l’espèce, prévient Cécile Dars. Car les dauphins ne peuvent avoir qu’un petit par an. La gestation dure onze mois et il peut s’écouler entre 1 et 4 ans jusqu’à la mise bas suivante.»
Plus de 400 dauphins ont été retrouvés échoués sur les plages de l’Atlantique depuis début 2021, «deux fois plus que pour la même période de 2020» selon Willy Dabin, ingénieur d’études chargé des échouages au laboratoire Pelagis. «Et les dauphins ne représentent qu’une partie des espèces pêchées accidentellement, rappelle-t-il. On ne peut plus exploiter sans fin le milieu marin.»
Le CIEM (Conseil International pour l’Exploration de la Mer), l’organisme scientifique (1600 scientifiques de 20 pays riverains de l’Atlantique Nord et d’Europe du Nord) qui a en charge la surveillance de ces écosystèmes marins, a émis un avis, à la requête du Commissaire européen à la Pêche, Virginijus Sinkevicius, demandant notamment des mesures urgentes de sauvegarde du dauphin commun (Delphinus delphis) dans le golfe de Gascogne :
– La fermeture temporaire des pêcheries problématiques lors des pics de mortalité, de décembre à mars,
– L’utilisation de pingers (dispositifs acoustiques destinés à éloigner les cétacés) sur les chalutiers pélagiques hors période de fermeture,
afin de réduire significativement les prises accidentelles de dauphins.
En juillet dernier, la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre la France, l’Espagne et la Suède : la Commission leur demande de « mettre en œuvre les mesures requises par la directive Habitats et par la politique commune de la pêche afin d'éviter les prises accessoires non durables d'espèces de dauphins et de marsouins par les navires de pêche. […] Malgré des preuves bien étayées indiquant que ces espèces sont capturées dans les filets de pêche, le problème persiste. […] Ces pays n'ont pas pris de mesures suffisantes pour contrôler les prises accessoires dans leurs eaux et par leurs flottes. »
Depuis, la France a négocié un délai de deux ans pour « étudier les mesures à prendre »…
Les réactions récentes du ministère de la Mer
Le 4 février, interpellée par le député David Corceiro, Madame la ministre de la Mer, Annick Girardin, a préféré dénoncer avec mépris l’action choc de Sea Shepherd (dépôt de cadavres de dauphins devant l’Assemblée nationale) que répondre sur le fond. Niant toutes les évidences, elle a déclaré que personne ne savait combien de dauphins s’échouaient et pourquoi, ni combien étaient victimes de prises accidentelles… « On n’a pas tous les résultats… Personne ne sait aujourd’hui quelle est la cause de cette mortalité… Nous ne connaissons pas le nombre d’individus… Tout le reste, ce sont des hypothèses… »
Depuis, la ministre a présenté le 9 février les « 7 engagements de l’État, des pêcheurs et des scientifiques ».
1. Rendre obligatoire les déclarations de l'ensemble des captures accidentelles (depuis janvier 2019 officiellement),
2. Relever les échouages, publier les données et rendre compte de l'avancée des actions (publication bimensuelle depuis mi-décembre 2020),
3. Équiper tous les chalutiers en interaction avec les cétacés en pingers et poursuivre le développement de solutions techniques (87 navires),
4. Mettre en place des programmes d'observation aérienne (en cours),
5. Tester l'embarquement des caméras à bord sur les fileyeurs du golfe de Gascogne à des fins de connaissance scientifique (20 navires volontaires),
6. Partager les travaux scientifiques et les innovations avec l'Espagne et le Portugal sur les captures accidentelles de cétacés,
7. Mener une campagne d'observation volontaire des pêches à bord des chalutiers et des fileyeurs (40 observateurs embarqués).
Le communiqué de la ministre pour présenter ces « 7 engagements » commence par : « Face à la forte recrudescence des échouages des cétacés liés aux captures accidentelles (c’est nous qui soulignons), la France a mis en place un plan d’action ambitieux composé de 7 engagements afin de lutter contre ce phénomène. ». Donc, contrairement à ce que la ministre affirmait quelques jours plus tôt, les informations des associations sur le lien avec les captures accidentelles sont confirmées officiellement.
De même, les chiffres publiés dans le bulletin bimensuel du ministère recoupent les données relevées par Pelagis. Il n’est donc plus possible de se cacher derrière son petit doigt.
Mais avec ces « 7 engagements », on reste très loin d’une vraie réponse à la surmortalité des dauphins et d’une prise en compte des alarmes des scientifiques. Nombre de ces actions existent déjà, certaines depuis des années (l'obligation de déclaration des captures date de… 2012 !) mais restent des vœux pieux, sans contrôle sérieux, comme la Commission européenne l’a souligné.
On ignore surtout la sauvegarde à long terme du milieu marin et de la biodiversité.
Gagner du temps, attendre encore et encore en favorisant les pratiques de pêche les plus rétrogrades, au détriment des écosystèmes et des pêcheurs responsables, semble être la seule politique menée alors que le temps presse.
Dans le golfe normand breton
On observe également, dans le golfe normand breton, une augmentation du nombre d’échouages de dauphins communs, mais ici très rarement liés à des captures par engins de pêche.
La raison de la présence plus fréquente sur nos côtes de ces dauphins non sédentaires, contrairement aux grands dauphins (Tursiops truncatus), est sans doute liée à l’activité humaine (problèmes de partage de la ressource avec les pêcheurs en Atlantique ?) mais n’est pas bien expliquée à ce jour.
Il semble aussi que ces dauphins communs (Delphinus delphis), de passage, mesurent mal, notamment quand ils s’aventurent dans la baie, les marées à fort marnage. Al Lark entend intensifier l’étude précise de ces échouages inquiétants, avec le RNE et Pelagis.
Si vous trouvez un dauphin échoué, ne le touchez surtout pas (risque éventuel de transmission de maladies) et prévenez immédiatement Al Lark, pour le golfe normand breton : 06 78 71 41 09.
Dans une autre zone, appelez Pelagis au 05 46 44 99 10.
Les liens :
Pelagis : https://www.observatoire-pelagis.cnrs.fr/
Réseau National Échouage : https://www.observatoire-pelagis.cnrs.fr/observatoire/Suivi-des-echouages-37/le-reseau-echouages-rne/
France Nature Environnement : https://www.fne.asso.fr/
CIEM : http://www.ices.dk/Pages/default.aspx
Ouest France Morbihan 3 février 2021 : https://www.ouest-france.fr/bretagne/quiberon-56170/morbihan-l-observatoire-pelagis-note-un-pic-d-echouages-de-dauphins-7141747
Décision de la Commission européenne (dans le point 6. Environnement et pêche) : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/INF_20_1212
Ministère de la Mer, Plan d’action et bulletins bimensuels : https://mer.gouv.fr/les-7-engagements-de-letat-des-pecheurs-et-des-scientifiques-pour-lutter-contre-les-captures